Un pâtissier, un artiste : une collab
Gault&Millau poursuit sa série de conversations gourmandes avec un rendez-vous inattendu entre Adrien Bozzolo, chef pâtissier du Mandarin Oriental, à Paris, et Nisrine Bouazzaoui Grillié, nez chez Givaudan.
Si les pâtissiers s’inspirent des produits de saison, les parfumeurs travaillent quant à eux sur des molécules chimiques qui n’ont rien de sexy. Leur démarche est pourtant très similaire. Loin d’être anodine, la rencontre de deux univers est une source d’enrichissement mutuel, chacun se nourrissant de l’approche créative de l’autre. Consciemment ou pas, l’impact demeure, faisant évoluer chacun des intervenants. Partons à la découverte des coulisses de ce tête-à-tête grâce auquel sont nés la bûche de Noël et un dessert inédit chocolat-tonka-lavande.
Gault&Millau : Est-ce votre première collaboration avec un autre univers ?
Adrien Bozzolo : C’est la troisième. La première date de 2019, à la suite de ma rencontre avec le studio d’architecture intérieure Gilles et Boissier, qui était intervenu à l’hôtel. Cela m’a donné envie d’en faire davantage. En début d’année, j’ai travaillé pour l’œuf de Pâques avec un joaillier sarde, Caterina Murino, et, pour Noël, l’idée de concevoir la bûche avec un nez m’a séduit.
Nisrine Bouazzaoui Grillié : C’est la toute première fois. La curiosité m’a poussée à accepter, car je trouve le monde de la pâtisserie fascinant. Il touche à des sens différents de ceux que j’utilise dans mon quotidien. Le processus créatif d’un chef m’a vraiment impressionnée.
G&M : Un souvenir olfactif marquant ?
A. B. : Avant ma rencontre avec Nisrine, j’aurais dit le muesli caramélisé qui sort du four. Désormais, c’est l’association fruit de la passion-chocolat, que je n’aborderai plus de la même façon. Nisrine m’a fait sentir cette composition, qu’elle travaille en mettant en avant la passion et en lui apportant de la rondeur par le chocolat, ce qui est très différent de mon approche, où le chocolat reste en majeur et se trouve acidulé par les notes du fruit. Cela m’a ouvert le champ des possibles.
N. B. G. : J’ai une affinité particulière avec le monde gustatif, et en particulier avec les épices. J’ai grandi au Maroc, imprégnée des odeurs fabuleuses de la cuisine de ma mère. Et mon père m’a toujours beaucoup parlé du parfum. C’est quelque chose de très inspirant pour moi. La fleur d’oranger est l’un de mes souvenirs olfactifs les plus forts. Il symbolise la maison, la joie, les fêtes. Elle est très présente dans mes créations.
G&M : Quelle a été votre démarche commune ?
A. B. : L’essence même de mon métier repose sur le goût. J’ai donc une bibliothèque gustative en tête qui me permet de faire mes combinaisons de saveurs. Nisrine connaît les composés chimiques de chaque ingrédient brut, et elle peut donc concevoir des associations cohérentes, voire des textures olfactives, qui donnent corps à ses parfums. Nous avons abordé la création de la bûche comme nous l’aurions fait pour l’un d’entre eux, en pensant notes de tête, de cœur et de fond. Le pari était d’imaginer une séquence de saveurs qui se révèlent tout au long de la dégustation. En accroche, nous retrouvons le chocolat, ensuite viennent l’acidité et le parfum d’iyokan, puis le riz grillé pour terminer. Pour arriver à ce résultat, nous avons goûté des dizaines d’ingrédients.
N. B. G. : Dès notre première rencontre, nous nous sommes aperçus qu’il y avait des ponts entre nos vocabulaires, que ce soit en termes de textures, de températures, voire de sensations. Nous raisonnons de façon identique. Quand je crée un parfum, j’ai besoin qu’il ait une couleur, une consistance, de l’imaginer en bouche. Finalement, nous avons des méthodes d’évaluation très proches, même si, pour le parfum, l’odorat relève de l’invisible. Ce sont des molécules chimiques qui m’aident à reproduire une impression, comme le sec, le rêche, le croustillant, le croquant. De mon côté, j’utilise un absolu ou une huile essentielle, quand Adrien se sert de la matière brute. L’avantage des pâtissiers est qu’ils disposent de dizaine d’ingrédients d’une même famille, alors que les parfumeurs n’en ont que quelques-uns. Nous avons ainsi goûté près de 25 chocolats et 12 jus de mandarine pour imaginer les saveurs de la bûche et choisir, comme pour un parfum, celles qui se marieraient le mieux et permettraient un séquençage.
G&M : Collaboration, liberté ou contrainte ?
A. B. : Liberté totale et sans limite. L’ouverture à d’autres processus créatifs permet de sortir de son cadre et d’enrichir sa propre façon d’innover. Grâce à ce travail avec Nisrine, j’appréhende une dimension nouvelle de mon métier et je décrypte différemment le goût. Par exemple, la lavande et la tonka ont en commun la coumarine, et cela fonctionne à merveille dans un parfum. Jamais je n’aurais pensé à cette association en pâtisserie. J’en ai fait un dessert chocolat-tonka-lavande, dont le résultat est incroyable.
N. B. G. : Liberté, sans hésiter ! Une collaboration est le summum de l’enrichissement personnel, surtout lorsqu’on rencontre quelqu’un comme Adrien, curieux et cultivé. Je me suis vraiment régalée, au sens propre comme au figuré.
G&M : Y a-t-il des collaborations impossibles ?
A. B. : Je ne pense pas, mais certaines sont sûrement plus difficiles que d’autres.
N. B. G. : Il est toujours possible de trouver un trait d’union. Il n’y a pas de limite dans la création. Il faut simplement se donner le temps et les moyens. Ensuite, la clé est de traduire cette inspiration en émotion.
G&M : Cette collaboration aura-t-elle un impact sur vos réalisations respectives ?
A. B. : Complètement. C’est le début d’une évolution. J’imagine déjà des associations de saveurs nouvelles, en allant plus loin sur la structure gustative des gâteaux. À l’avenir, je n’aurai pas systématiquement une séquence tête, cœur, fond, mais je me servirai plutôt de chaque ingrédient comme d’épices qu’il faudra marier pour trouver l’équilibre parfait.
N. B. G. : Quand je suis mon processus créatif, j’ai un fil conducteur. C’est un mélange d’intuition et de raisonnement. La rencontre avec l’univers de la pâtisserie va apporter une ponctuation différente à mon travail, sans que j’en sois forcément consciente.
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